Chroniques

LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
Chasse aux fantômes (mode d’emploi) (publiée le 24 février 2017)
Il n’est pas chose facile d’écrire une chronique sur l’actualité lesbienne, car soyons réalistes: la lesbienne fait rarement l’actualité. Par « actualité », j’entends celle avec un grand A, celle du plus grand nombre, une actualité « hétérocentrée », patriarcale et blanche, et ça ne va pas aller en s’améliorant avec Trump et ses amis, car la démocratie semble avoir parlé en faveur du grand méchant loup (on a évidemment tué la grand-mère dans le processus qui promettait de protéger le petit chaperon rouge). 

Trêve de métaphore, Hilary peut se considérer « chanceuse »: si elle avait été lesbienne elle n’aurait probablement jamais accédé au Sénat. Pessimiste, mais quand même réalis-te… Promis, j’arrête de parler de politique américaine. Cela dit, vous aurez compris mon point. Comment parler d’actualité lesbienne, alors que l’actualité ignore plus souvent qu’autrement la lesbienne. Ainsi, cette chronique discutera souvent de l’absence. L’absence d’images de nous-mêmes, ou plutôt, comment apprendre à chasser les fantômes, ces étranges créatures de l’ombre dans une dimension parallèle. Se créer une actualité par l’absence. Se faire son actualité. « On ne naît pas femme, on le devient », disait Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe. J’ajouterai, pour la lesbienne, qu’on voit davantage son ombre dans l’actualité. Mais « On ne nait pas chasseur, on le devient » Il est donc temps d’entamer la chasse aux fantômes, de les sortir de l’ombre, pour créer sa propre actualité. Vous êtes bien sûr invitées à collaborer, si vous avez le détecteur de fantômes affuté.
 
SOS Famtômes
Je commence avec le cinéma, car je suis habituée à chasser les fantômes sur pellicule. C’est ma force. Je vois souvent des lesbiennes, même quand y’en a pas. C’est ma faiblesse. Ça a quelque chose de rassurant, ça rend le popcorn moins indigeste, vous essayerez. L’été dernier est sorti la relance de la franchise Ghostbusters. Reprenant la ligne thématique des SOS Fantômes (1984 et 1989), le film de Paul Feig propose une nouveauté: une équipe de chasseurs de fantômes entièrement féminine. Girl Power! Ok, aucune d’entre elle s’identifie clairement comme lesbienne… Sauf que, la blonde (Jillian) semble avoir un kick sur l’intello, Erin. Je dis bien semble, parce que c’est évoqué. Donc, il y a l’ombre d’une lesbienne… D’ailleurs, le réalisateur Paul Feig a déclaré à The Daily Beast: « Je déteste ne pas pouvoir être plus précis là-dessus mais vous savez, quand vous êtes attachés à un gros studio… » J’aime penser que Jillian est lesbienne dans le film. Sinon, l’actrice qui l’incarne, soit Kate McKinnon, est la première de l’équipe de Saturday Night Live à être ouvertement lesbienne. Voilà, de l’ombre à la lumière! Les autres protagonistes féminines du film et particulièrement Erin, se pâment toutes pour Kevin (un genre de Ken, plus associé à Barbie et moins au Clark Kent/Superman) sauf que ces femmes n’ont rien de la superficialité plastique de Barbie (d’ailleurs Barbie n’a rien d’une femme, même pas un vagin). Et au risque de briser le stéréotype, si Barbie n’a pas de vagin et que Ken a une bosse dans son pantalon, on a un problème M. Mattel… De toute façon, Ken est probablement homo, il n’a juste jamais eu l’occasion de sortir du placard.
 
Party de Saucisses
Ok j’avoue. L’autre jour j’avais besoin d’un feel good movie et j’ai regardé Party de Saucisses… Un film d’animation où les aliments d’un supermarché croient que les humains sont des Dieux, jusqu’au jour où ils se rendent compte que ces prétendus Dieux, sont en fait des meurtriers qui les mangent. Ok je sais… Le résumé a l’air a priori un peu ridicule, vite de même, mais comme c’était le 8 novembre et que j’ai regardé la soirée électorale américaine toute suite après, j’ai trouvé mon choix de film pas si ridicule que ça… (Ok promis, j’arrête de parler politique). Dans Party de Saucisses il y a le couple hétérosexuel (formé de la saucisse qui pénètre la brioche) MAIS - et attention les filles c’est là que j’arrive avec mon fantôme - il y a aussi Thérésa la Tacos, une chaude espagnole lesbienne qui flirt avec la brioche! Ta lam! Bien entendu, vous vous doutez que pour les prémisses du «bon goût» de la diégèse, les scénaristes ont préféré voir la brioche « rentrer » à la maison avec la saucisse MAIS - tout de même - mention spéciale pour avoir remis au « goût du jour » (et d’actualité) le tacos. D’ailleurs, plus tard, le tacos est même invité au party de saucisses… Inclusion, inclusion.
 
Et si le fantôme de ta grand-mère était lesbienne?
J’aime faire mes suppositions, chasser les fantômes sur pellicule, mais il y en a qui le font littéralement pour vivre! (ça permet sûrement pas de payer le loyer). La web série Queer Ghost Hunters (queerghosthunters.com)  se propose d’enquêter dans des lieux hantés (asiles, prisons, théâtres, manoirs, cimetières, etc.) Le groupe Stonewall Columbus Queer Ghost Hunters, avec la lesbienne Lori Gum à sa tête et son associé gai, Shane McClelland, se retrouve dans ces lieux et interroge les fantômes sur leur orientation sexuelle. Et ils répondent, oui, oui! Au début des années 1900, plusieurs hommes emprisonnés pour sodomie au Ohio State Reformatory avoueront leur homosexualité…ou plutôt, leur fantôme passera à l’aveu. Idem pour une nonne dans un cimetière. Une docusérie qui propose un sujet étrange, sérieux, mais non dépourvu d’humour. Et si le fantôme de votre grand-mère faisait son coming-out?
 
Mode d’emploi pour la chasse
Au final, le mode d’emploi est simple. Pour chasser le fantôme, il faut être à l’écoute, rester aux aguets et avoir l’esprit ouvert. En fait, toute lesbienne a, comme seconde nature, cette propension à décoder les ombres de ses semblables pour mieux survivre. La lesbienne fait rarement l’objet de l’actualité, celle avec un grand A, mais elle est pourtant bien réelle, qu’elle y fasse ou non, sa sortie du placard. D’ailleurs, au moment d’écrire ces lignes, j’apprends qu’Ellen DeGeneres reçoit la médaille de la Liberté des mains de Barack Obama, pour le courage d’avoir officialisé son coming-out lors de sa carrière. Comme quoi il n’y a pas juste les fantômes qui sortent du placard! On s’en reparle le mois prochain…

 
Par Julie Vaillancourt
Sur: www.fugues.com